Wednesday, January 20, 2010

Rapport de Human Rights Watch sur les droits de l'Homme en Algérie

Sous l'état d'urgence imposé en 1992, et sous la présidence d'Abdelaziz Bouteflika qui a été réélu sans peine pour un troisième mandat, l'Algérie a continué de connaître des violations généralisées des droits humains. Il s'agit notamment des restrictions sur la liberté des médias et d'assemblée, des sévices infligés par la police aux personnes soupçonnées de terrorisme pendant les interrogatoires, de l'impunité accordée aux membres des forces de sécurité et aux groupes armés pour les crimes passés, et de l'échec continu à rendre compte des personnes victimes de disparition forcée aux mains des agents de l'Etat pendant le conflit civil dans les années 90. Sur une échelle moindre que les années précédentes, des groupes militants ont poursuivi leurs attentats mortels, en ciblant principalement les forces de sécurité.

Election présidentielle

Le 9 avril 2009, le Président Bouteflika a été réélu avec un décompte officiel de 90 pour cent des voix, contre cinq adversaires. Il s'est présenté après que le Parlement eut adopté sans aucun débat un amendement constitutionnel en novembre 2008 pour l'abolition d'une limite de deux mandats à la présidence. Trois partis d'opposition bien établis, le Front des forces socialistes, le Rassemblement pour la culture et la démocratie, et le parti islamiste El Nahdha ont boycotté l'élection, affirmant que les conditions d'un vote équitable et transparent n'étaient pas réunies.

Liberté d'expression et d'assemblée

Les médias audiovisuels sont contrôlés par l'Etat et intègrent dans leur grille de programmes très peu d'émissions critiques ou d'opinions divergentes sur les politiques gouvernementales; cependant, ils proposent la retransmission en direct des sessions parlementaires. Les journaux privés bénéficient d'un espace considérablement plus libre, mais les lois répressives sur la presse, leur dépendance vis-à-vis des revenus de la publicité du secteur public et d'autres facteurs limitent leur liberté de critiquer le gouvernement, l'armée et les puissants.

Le code pénal et les lois de la presse imposent des peines de prison allant jusqu'à deux ans, assorties d'amendes pour diffamation, insultes, ou pour avoir offensé gravement le président, des responsables gouvernementaux et des institutions étatiques.

En mars 2009, Nadjar Hadj Daoud, le rédacteur en chef du site web d'actualités Al Waha, a commencé à purger une peine de six mois de prison pour diffamation à propos d'un article de 2005 accusant un fonctionnaire du gouvernement local de tentatives de viol contre de nombreuses collègues féminines. Selon le groupe new-yorkais Committee to Protect Journalists (CPJ), le tribunal a libéré Daoud provisoirement pour raisons médicales en raison des blessures qu'il avait subies en se faisant poignarder quelques semaines plus tôt. Daoud a informé le CPJ qu'un « lobby de la corruption » a déposé 67 plaintes pour diffamation contre lui depuis 2003.

En janvier 2009, Hafnaoui Ghoul, un journaliste indépendant et membre de la section de Djelfa de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH), a été attaqué par un agresseur armé d'un couteau. Hafnaoui a affirmé au CPJ que les autorités locales avaient fermé les yeux sur l'agression. Ghoul a souvent été l'objet de poursuites pour diffamation au cours des dernières années, en raison de ses articles accusant des fonctionnaires et des individus puissants de corruption et d'abus de pouvoir.

Les titulaires de passeports européens ou nord-américains doivent obtenir un visa d'entrée en Algérie, que les autorités refusent souvent aux journalistes et aux défenseurs des droits humains. Les citoyens du Maroc et de la Tunisie, pays voisins, n'ont pas besoin de visas. Toutefois, le 4 avril, les autorités ont refoulé Sihem Bensedrine, journaliste tunisienne et défenseure des droits humains invitée par la LADDH pour suivre la couverture par les médias locaux de l'élection présidentielle, alors qu'elle cherchait à entrer en Algérie. Le 9 avril, la police a arrêté et interrogé pendant quatre heures les journalistes marocains Hicham El Madraoui et Mahfoud Aït Bensaleh, qui étaient venus pour couvrir l'élection pour l'hebdomadaire marocain as-Sahara al-Ousbou'iya. Les deux hommes ont également indiqué qu'ils avaient été suivis par des policiers en civil et que leur chambre d'hôtel avait été saccagée.

Peu avant l'élection présidentielle, les autorités ont confisqué des copies des hebdomadaires français L'Express, Marianne, et Le Journal du Dimanche, prétendument parce que ces hebdomadaires auraient violé l'article 26 du Code de l'information de 1990, qui interdit la publication de tout ce qui est jugé « contraire aux valeurs islamiques et nationales et aux droits de l'homme ou qui fait l'apologie du racisme, du fanatisme ou de la trahison ». Leur couverture de Bouteflika et de la campagne électorale auraient conduit à l'interdiction de ces hebdomadaires.

Un décret de 2000 interdisant les manifestations à Alger demeure en vigueur. Les autorités exigent que les organisations obtiennent l'autorisation du gouverneur local avant la tenue de réunions publiques. Un important contingent de policiers a convergé le 17 juillet 2009 vers une salle du centre-ville d'Alger en vue d'empêcher une conférence que les organisations représentant les victimes de la guerre civile avaient organisée, sous le titre « La mémoire des victimes vers la reconstruction d'une société ». Les organisateurs, qui ont dit qu'ils n'avaient reçu aucune notification écrite de l'interdiction, ont déplacé l'événement au bureau du Collectif des familles de disparus en Algérie. En octobre, la LADDH a reçu une notification écrite interdisant une réunion sur la peine de mort prévue dans un hôtel d'Alger.

Liberté de religion

L'ordonnance 06-03, une loi de 2006, prévoit des peines de prison pour prosélytisme de la part des non-musulmans et leur interdit de se rassembler pour prier, sauf dans des lieux approuvés par l'Etat. Les autorités refusent les demandes présentées par les groupes chrétiens protestants pour utiliser des bâtiments pour le culte exposant ainsi leurs membres au risque d'être persécutés s'ils prient dans des lieux non autorisés.

Impunité pour les violations du passé

Plus de 100 000 Algériens sont morts pendant le conflit civil des années 90. Des milliers d'autres ont « disparu » aux mains des forces de sécurité ou ont été enlevés par des groupes armés qui luttent contre le gouvernement, et n'ont jamais été retrouvés, ni morts ni vivants. Les auteurs des atrocités de cette période continuent à bénéficier de l'impunité. Le cadre juridique pour l'impunité est la loi de 2006 dite Charte pour la paix et la réconciliation nationale, qui accorde une amnistie aux membres des forces de sécurité pour les actions qu'ils ont menées au nom de la lutte contre le terrorisme, et aux membres de groupes armés non impliqués dans les actes les plus odieux.

La loi promet une compensation aux familles des personnes « disparues », mais en même temps elle érige en infraction pénale les critiques des institutions de l'État ou des forces de sécurité pour la façon dont elles se sont conduites au cours de la période du conflit civil. Les organisations représentant les familles des personnes « disparues » ont condamné l'incapacité persistante de l'Etat à fournir des informations précises sur le sort de leurs proches portés disparus.

Détention au secret, torture et peine de mort

Les signalements d'éventuelles « disparitions » de longue durée ont été extrêmement rares ces dernières années. Toutefois, les services de sécurité en civil procèdent fréquemment à des arrestations sans présenter de mandat, puis détiennent parfois des personnes soupçonnées de terrorisme plus longtemps que les 12 jours autorisés avant leur comparution devant un juge, et ne respectent pas l'obligation légale d'aviser la famille. Le Comité des Nations Unies contre la torture, dans son examen du rapport de l'Algérie à la commission de mai 2008, s'est déclaré préoccupé par les informations selon lesquelles la limite légale de 12 jours en détention préventive dans les affaires de terrorisme « peut, en pratique, être étendue à maintes reprises » et que « la loi ne garantit pas le droit à un avocat pendant la période de détention provisoire, et que le droit d'une personne en garde à vue pour avoir accès à un médecin et à communiquer avec sa famille n'est pas toujours respecté ».

Par exemple, selon des organisations algériennes des droits de l'homme, des hommes en civil ont arrêté Moussa Rahli d'Ouled Aïssa, dans le gouvernorat de Boumerdès, le 17 mars 2009. Les recherches effectuées par son père auprès des postes de police de proximité et des casernes militaires n'ont abouti à aucune information sur le sort de Rahli. La police est retournée fouiller la maison familiale le 27 mars et a confisqué la voiture de Rahli, selon son père. Ce n'est que vers le 20 avril que la famille a appris que les autorités détenaient Rahli dans la prison militaire de Blida.

L'Algérie a modifié son code pénal en 2004 pour qualifier la torture de crime. Le Comité international de la Croix-Rouge visite régulièrement les prisons ordinaires en Algérie, mais pas les lieux de détention gérés par le puissant Département du renseignement et de la sécurité (DRS), un service de renseignement de l'armée.

Les tribunaux algériens ont prononcé des dizaines de condamnations à mort en 2009, dont beaucoup à l'encontre d'accusés dans les affaires de terrorisme et la plupart d'entre elles par contumace. L'Algérie a observé un moratoire de fait sur l'exécution de la peine de mort depuis 1993.

Terrorisme et contreterrorisme

Les attaques commises par des militants ont diminué de façon spectaculaire par rapport au milieu des années 90, mais Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a continué de lancer des attaques mortelles, destinées pour la plupart à des cibles militaires et policières. Bon nombre des attaques ont consisté en embuscades de bord de route à l'aide d'engins explosifs et de tirs, tel qu'une attaque du 17 juin 2009 sur un convoi près de Bordj Bou Arreridj, à 180 kilomètres à l'est d'Alger, qui a tué entre 18 et 30 gendarmes, selon des rapports. Parfois, l'AQMI a également tué des civils. Par exemple, l'AQMI aurait revendiqué la responsabilité de l'assassinat d'un berger soupçonné de collaboration avec les autorités, le 14 mars à Houidjbet, près de la ville de Tébessa, dans l'est du pays.

Le 17 janvier 2009, Hassan Mujamma Rabai Saïd est devenu le huitième algérien détenu par les Etats-Unis à la prison de Guantanamo à être renvoyé en Algérie. Dès son arrivée, le DRS aurait placé Saïd en détention au secret pendant plusieurs jours et l'aurait interrogé -- comme le DRS l'avait fait pour les autres détenus venant de Guantanamo avant lui. Les autorités judiciaires ont accusé la plupart des huit individus de servir une organisation terroriste opérant à l'étranger; en octobre 2009, ils étaient provisoirement libres en attendant d'être jugés. Il reste douze détenus algériens à Guantanamo à novembre 2009.

Acteurs internationaux clés

L'Algérie a continué durant l'année 2009 à rejeter les demandes formulées de longue date dans le cadre des Procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, relatives à des visites par les Rapporteurs spéciaux sur la torture, sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, ainsi que sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, ainsi que par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires.

L'Algérie « est un important partenaire (des Etats Unis) dans la lutte contre l'extrémisme et les réseaux terroristes comme Al-Qaida et notre deuxième partenaire commercial du monde arabe », a noté le rapport Advancing Freedom and Democracy (« L'avancée de la liberté et de la démocratie ») publié en mai 2009 par le gouvernement américain. Les États-Unis ne fournissent presqu'aucune aide financière à l'Algérie mais ce pays est le principal client des exportations de l'Algérie, principalement du gaz et du pétrole. Le rapport Advancing Freedom indique que les Etats-Unis « continuent d'exhorter le gouvernement à dépénaliser la diffamation de la presse ». Le secrétaire d'Etat adjoint Jeffrey D. Feltman, lors de sa visite à Alger les 20 et 21 octobre, n'a fait aucune déclaration publique à ce sujet ni sur aucune autre question de droits humains.

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