Saturday, August 25, 2007

L'Algérie en panne de projets sérieux.

Dans l'Algérie engourdie par le soleil de juillet, le seul mouvement semble être celui des convois des mariages qui sillonnent les routes à la poursuite d'une voiture fleurie. Mais à y regarder de plus près, il y a, au milieu des champs de blé fauchés de l'oued Fodda, à mi-chemin entre Alger et Oran, une autre activité, plus discrète : ce sont les employés chinois du consortium Citic-CRCC, lancés depuis quelques semaines dans une course contre la montre. Ils ont quarante mois (à compter du 18 septembre 2006) pour construire 528 kilomètres de l'autoroute est-ouest, un record mondial.
Leurs deux tronçons, du centre et de l'ouest, s'ajouteront au réseau existant et aux 399 km qu'un consortium japonais construit à l'est du pays. L'ensemble de 1 216 km sera en 2009, année de la fin du mandat du président Abdelaziz Bouteflika, la contribution algérienne à l'axe transmaghrébin de 7 000 km entre la mer Rouge à l'Atlantique.
Au ministère des travaux publics, qui chapeaute le "chantier du siècle" si cher au président, on suit les travaux de près. "Nous avons imposé aux Chinois d'utiliser 70 % de main-d'oeuvre locale afin que nos Algériens se frottent à une autre culture, explique Omar Oukil, conseiller en communication du ministre. Nous avons besoin d'une culture du travail assez rigoureuse, nous avons besoin de voir les choses de façon assez sérieuse. Les Chinois sont une race à part, ils font les trois-huit, sept jours sur sept", ajoute-t-il en conclusion de sa journée de travail au ministère, déjà désert sur le coup de 16 heures.
Les Japonais du groupement Cojaal ont les mêmes délais que les Chinois mais remplaceront une partie de la main-d'oeuvre par de la haute technologie. "La hauteur des lames de nos bulldozers et tous les mouvements de nos engins seront dictés par satellite, explique Atshushi Furuta, directeur général du bureau d'Alger. Cela permet de réduire les coûts, même s'il n'est pas très économe de construire une autoroute en quarante mois."
Relier ses frontières tunisienne et marocaine va coûter 11,1 milliards de dollars à l'Algérie (près de 8,5 milliards d'euros), c'est le plus gros chantier jamais entrepris dans le pays, avec 74 881 ouvriers - dont 21 973 expatriés asiatiques -, 11 tunnels percés sur deux fois 3 voies et 390 ouvrages d'art réalisés, dont 25 viaducs. Les offres d'autres groupements, comme le franco-allemand Razel-Vinci-Bilfinger, n'ont pas été jugées compétitives.
Omar Oukil, qui se dit peu attiré par l'Asie ("Quand je suis fatigué, c'est à côté de Marseille que je vais me reposer"), est pourtant impressionné par les Japonais. "Sur les chantiers, leurs manières strictes forcent le respect, affirme le cadre du ministère des travaux publics. Ils dégagent de l'intelligence et une véritable élégance. Les Chinois, eux, ont l'air misérable. Ils n'ont que leur travail à offrir." Ceux du bureau de Chlef, à 210 km à l'ouest d'Alger, font pourtant excellente impression : hommes et femmes en tenue sport chic, jeunes et accueillants, parlant français ou arabe, équipés d'ordinateurs dernier cri et respectant à la lettre les consignes affichées au mur.
"INVASION JAUNE"
"Les groupements que nous avons retenus au terme de l'appel d'offres sont de rang mondial", confirme Mohammed Kheladi, directeur de la division programme neuf, qui supervise les 927 km attribués aux deux consortiums asiatiques. Son quartier général sur les hauteurs d'Alger, tout juste aménagé par une entreprise chinoise, est une véritable ruche.
Une partie de l'administration algérienne a en effet adopté le rythme asiatique : "Nous faisons les cinq-huit !", plaisante M. Kheladi, qui nous reçoit en fin de journée, entre une délégation japonaise et une chinoise.
Afin de ne laisser aucun prétexte de retard aux constructeurs, qu'il "bouscule en permanence", il doit s'assurer que le tracé soit libéré des habitations et des réseaux d'eau, d'électricité, de gaz ou de pétrole, que les bases de vie soient proprement installées, que les paiements soient effectués, que la douane laisse passer les engins des consortiums, que la main-d'oeuvre algérienne soit engagée et formée, que les visas des expatriés soient délivrés, sans compter les changements de tracé, comme celui destiné à limiter l'impact sur le parc national d'El-Kala, à la frontière tunisienne. "Cette autoroute va harmoniser et développer le pays, dit-il. Des villes et villages vont se dresser le long du tracé. Elle sera le feu vert pour les investisseurs et les touristes."
En haut lieu, on estime que l'autoroute a aussi valeur de test pour les entreprises chinoises. "S'ils réussissent, toutes les portes leur seront ouvertes." Pour l'heure, la participation chinoise aux grands projets algériens a été restreinte, notamment pour le programme de 1 236 883 logements entre 2001 et 2009. Moins de 30 000 unités ont été confiées à l'entreprise chinoise CSCEC, qui se dit capable de beaucoup plus, le plus gros allant aux entreprises égyptiennes, turques et bien sûr nationales.
Il s'agissait sans doute de limiter les frictions avec une population troublée par ces nouveaux migrants, qui sont officiellement 18 000 dans le pays. Le journal El-Youm vient de faire scandale avec une double page venimeuse sur les méfaits des Chinois, "cette invasion jaune qui ne respecte pas les interdits religieux (...) et adore les brochettes de chat et de chien".
Mais ce n'est pas tout : le géant aurait failli. Des retards ont été enregistrés dans la livraison des logements et les autorités algériennes refusent de voir que les Chinois n'y pouvaient rien : épidémie de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) en 2003 qui a bloqué l'arrivée des expatriés, tremblement de terre la même année, énormes retards administratifs et techniques algériens. "Nous ne sommes plus une économie de monopole, nous sommes ouverts à tous, aux Chinois mais aussi aux Français !" sourit un haut responsable du ministère de l'habitat. Avant d'avouer qu'il est déçu par les Chinois, dont il attendait des miracles. "Mais ne me citez pas, dit-il, je ne veux pas me mettre 1,3 milliard de personnes à dos."
Serge Michel- Le Monde 25/08/2007

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